Aux fondements de l’identité juive
Par Jonathan Aikhenbaum, Jérusalem
Vers -1200 - -1100
Pourquoi y-a-t-il eu une guerre civile contre la tribu de Benjamin ?
L’épisode est rapporté à la fin du livre des Juges. Un lévite habitant la tribu d’Ephraïm (région de Samarie) avait une concubine de Bethlehem (tribu de Juda). Cette dernière souhaitait se séparer et était retournée vivre chez ses parents, à Bethlehem. Le lévite se rendit jusqu’à elle et la convainquit de revenir avec lui. Ils partirent vers le soir et s’arrêtèrent en chemin dans la ville de Guibea (au nord de Jérusalem), de la tribu de Benjamin. Accueillis par un vieillard, le couple ne tarde pas à attirer toute la racaille de cette ville. Sous les menaces de la populace, le lévite leur livre sa concubine qui est violée et retrouvée morte le lendemain. Il rentre alors chez lui, la découpe en morceaux et les envoie dans toutes les tribus d’Israël. Elles se liguent toutes contre la tribu de Benjamin et réduisent le nombre de Benjaminites à six cents.
L’épisode a clairement fixé la limite de ce qui est tolérable à l’intérieur des frontières de la nation d’Israël. Les tribus peuvent et doivent permettre au caractère particulariste des autres tribus de s’exprimer, mais uniquement dans le cadre d’une certaine moralité. Au-delà, l’unité est brisée (le corps est découpé en morceau) et la guerre civile vient paradoxalement la rétablir en rétablissant la moralité de l’ensemble du corps social.
Vers -1100
וְשַלְמוֹן הוֹלִיד אֶת-בֹעַז, ובֹעַז הוֹלִיד אֶת-עוֹבֵד . וְעֹבֵד הוֹלִיד אֶת-יִשָי, וְיִשַי הוֹלִיד אֶת-דָוִד .
Et Salmon engendra Boaz, et Boaz engendra Oved. Et Oved engendra Yishaï et Yishaï engendra David
L’arrière grand-mère du roi David était-elle une étrangère moabite ?
La Bible comporte de nombreux récits de généalogie et d’engendrements qui sont riches d’indications sur le développement de l’histoire humaine et de celle d’Israël. Parmi toutes les généalogies, il y en a une sur laquelle le texte biblique insiste et c’est celle du roi David, la lignée messianique.
La lignée messianique n’a rien d’une lignée royale classique. L’histoire de Ruth la Moabite l’illustre parfaitement.
Les Moabites sont les descendants de Moab, le fils issu de Loth et de sa fille aînée. Fuyant la destruction de Sodome, Loth et ses deux filles avaient trouvé refuge dans une grotte. Se croyant les seules au monde, les filles de Loth conçoivent alors de poursuivre l’humanité grâce à une relation incestueuse. De ce plan naîtront Moab et Ammon.
L’histoire de Ruth commence avec une famine sur la tribu de Juda, qui contraint une famille judéenne, Elimelekh, sa femme Noémie et ses deux fils, à l’exil en Moab. Les deux fils se marient avec des Moabites, Orpa et Ruth. Le mari et les deux fils meurent et Noémie songe à rentrer au pays. Elle renvoie alors ses deux brus. Orpa la quitte et retourne dans la maison familiale mais Ruth s’entête à être auprès de sa belle-mère et indique sa ferme volonté de faire partie de la civilisation hébraïque : « Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu ». Communauté de destin d’abord, préalable à la communion dans la foi.
Alors que Loth s’était éloigné d’Abraham, Ruth se lie à sa descendance et montre la capacité d’un étranger à endosser la communauté historique et la religion d’Israël. Elle est par excellence le modèle de la conversion désintéressée, portée aux plus hautes vocations : elle se mariera avec le juge de l’époque, Boaz et sera l’arrière grand-mère du roi David.
Vers -1050
Comment le régime politique d’Israël est-il devenu royal ?
Dans la Thora, la royauté revient à Dieu. Aussi, le régime décentralisé des Juges était-il idéal pour asseoir ce principe. L’absence d’autorité politique centrale permet d’éviter la personnification du pouvoir et maintient vivace l’idée d’un Dieu souverain politique.
Cependant, ce modèle a ses limites explorées dans le livre des Juges : instabilité politique et géopolitique, déliquescence de l’unité morale et sociale des tribus. La frustration du peuple est à son comble à l’époque du grand-prêtre et juge Eli, dont les fils sont corrompus. Le pouvoir est inconsistant et incohérent, l’arche sainte est même faite prisonnière chez les Philistins.
Entre temps, Samuel a remplacé Eli et a partiellement rétabli l’autorité. Mais le peuple exige un pouvoir central autour duquel toutes les tribus s’unifieraient.
La Thora prévoir l’institution de la royauté. Cependant, Samuel s’oppose fermement à sa réalisation, expliquant que les motifs qui poussent les tribus à la réclamer sont blâmables. Alors qu’elle doit être une simple fonction politique (l’exécutif), le peuple aspire à un symbole unificateur et cherche à substituer le royal au divin comme ferment de l’unité politique.
Dieu indique cependant à Samuel qu’il ne doit pas s’opposer à la volonté du peuple. La recherche d’un candidat à la fonction royale à commencé.
Vers -1050
Comment Saül est-il devenu roi ?
C’est en partant chercher les ânesses égarées par son père que Saül fait la rencontre du prophète Samuel qui lui annonce qu’il a été choisit pour être roi. Il passe alors une initiation accélérée, commence à prophétiser et reçoit l’onction royale de la part de Samuel (on lui verse de l’huile d’olive sur la tête. L’huile, séparée et au-dessus de tout autre liquide, est l’expression de la présence du Dieu transcendant dans la réalité matérielle).
Deux événements viennent compléter ce qui s’est passé à l’échelle individuelle entre les deux hommes. D’une part, un tirage au sort a lieu entre les tribus d’Israël pour choisir le roi. Le « sort » désigne la plus petite des tribus (mais néanmoins centrale), Benjamin ; Il désigne aussi la famille la plus insignifiante de Benjamin, celle de Matri, et enfin Saül, fils de Qish.
C’est Dieu qui a choisit le roi en présence des hommes. Le critère premier de sélection politique du leader semble être, comme au temps de Moïse, la modestie.
C’est ensuite un acte de guerre qui, unifiant tout Israël, va permettre à Saül d’asseoir son autorité.
Vers -1040
Pourquoi Saül a-t-il perdu la royauté ?
Le bon fonctionnement politique d’Israël exige un parfait équilibre des pouvoirs. La souveraineté demeure dans les mains de Dieu. Les quatre branches du pouvoir sont la royauté, la prêtrise, la judicature et la prophétie. Cette dernière assure l’intégrité du pouvoir royal et sa conformité avec la Thora.
Le prophète Samuel a confié à Saül la mission de mener une guerre totale contre l’ennemi irréductible, Amalek. Or, Saül, cédant aux demandes de ses soldats, va épargner le roi d’Amalek, Agag, ainsi qu’une partie de ses troupeaux.
Pour Samuel, la faute est extrêmement grave. Elle indique la fin de la soumission de la royauté aux exigences de la Thora et, plus encore, la brisure de l’équilibre des pouvoirs en Israël. Samuel indique donc à Saül qu’il perd la royauté et se dirige vers Bethlehem, où il oint David comme futur roi d’Israël. Les dix dernières années du règne de Saül sont vécues dans une tentative tragique de s’opposer le sens de l’histoire et à l’accession de David au trône. Saül connaîtra de nombreux états maniaco-dépressifs et mourra sur le champ de bataille.
Vers -1010 -970
Pourquoi le royaume de David est-il considéré comme un âge d’or ?
C’est dans la stabilité politique et la personnalité exceptionnelle du leader qu’il faut chercher une réponse à cette question.
Israël connaît, sous David, ses premières années de stabilité politique depuis la sortie d’Egypte. Ni la conquête sous Josué, ni la confédération des Juges, ni la royauté de Saül, n’avaient apporté paix et stabilité à Israël. Les frontières étaient sans cesse remises en question, les incursions des Philistins et de divers roitelets étaient fréquentes. L’instabilité politique était également de mise à l’intérieur des frontières avec d’importantes forces séparatistes et un régionalisme marqué.
David réussit le tour de force de l’unification du royaume. Pour la première fois, les tribus se trouvent toutes soumises à un pouvoir central. Le même lieu, Jérusalem, devient le centre du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Ce centralisme donne la possibilité à David d’initier une politique de puissance vis-à-vis de ses voisins, qui porte ses fruits avec la vassalisation des royaumes voisins (Moab, Ammon, Edom)
Mais c’est également dans le caractère personnel de David qu’il faut chercher cet âge d’or. Jamais personnalité publique n’a mieux représenté l’idéal d’Israël telle qu’il s’est exprimé à travers les générations. David est guidé par une profonde intégrité morale à travers les aléas de son métier d’homme et de roi. Il connaît plusieurs fois l’erreur et l’égarement (le cas le plus manifeste est celui d’Ouri, que David envoie à la mort sur le champ de bataille dans le seul but de s’attacher sa veuve, Batshéva), mais David connaît à chaque fois le Retour. Il est par excellence celui qui affronte la réalité dans toute sa complexité, accepte le risque de la faute, et quand il faute, en tire toute les conséquences.
Vers -1010 -970
Pourquoi dit-on que le Messie doit descendre du roi David ?
Depuis le début de l’histoire humaine, le récit biblique est en quête d’une personnalité qui soit hautement morale et spirituelle (une telle personne a souvent le métier de berger) sans être à la merci des autres hommes. Cette quête sera parsemée d’échecs et de réussites partielles : le berger Abel est tué par Caïn, le berger Jacob doit fuir Esaü, le berger Moïse devient le chef politique d’un peuple en exil.
Le berger David, cependant, accède à la royauté sans renoncer à sa stature morale. Il est la personnalité qui couronne les efforts déployés par la civilisation hébraïque pour acquérir sa place au soleil. Dès lors, l’aboutissement final de l’histoire doit passer par une personnalité de la descendance de David.
Vers -1010 -970
Qu’est-ce que David a écrit dans les Psaumes ?
David a livré à l’humanité la richesse et la complexité de son vécu intime à travers une oeuvre magistrale, les Psaumes. Il y explore en détail la dynamique de la faute et du retour, la multiplicité et la complexité des dangers auxquels l’homme doit faire face et, face à cela, l’absolu confiance en Dieu, maître du destin des hommes en toute circonstance.
David met en opposition deux cheminements intérieurs tout au long des psaumes : le cheminement des « méchants » et celui des « justes ». Le méchant n’est pas celui qui fait des mauvais choix, il est celui qui n’apprend pas de ses choix pour se rectifier et se parfaire. Au contraire, il les assimile et les rend légitimes. Le juste se caractérise en revanche pas sa capacité à apprendre et à réparer. Il trouve ainsi les voies d’un renouvellement intérieur.
Vers -1010 -970
Pourquoi David n’a-t-il pas pu construire le temple ?
Homme de l’unité, de la responsabilité humaine, David a aussi été un homme de guerre, qui a vécu la plupart des années de sa vie le glaive à la main : au service de Saül, dans la clandestinité quand il est poursuivi, quand il est roi de Juda, puis roi d’Israël unifié.
Or, le temple, la maison de Dieu, doit être une maison de paix. Le fer ne doit pas être utilisé dans sa construction. De même, le roi qui a manié l’épée ne peut initier sa construction. C’est néanmoins ce parcours mouvementé de David qui permet à Salomon d’être le roi de l’ère de paix, de ne pas avoir à guerroyer et donc de construire le temple de la paix.
Le fait que Dieu ait transmit à David qu’il ne construirait pas le temple n’est envisagée dans le texte biblique comme une sanction ou une punition. Il souligne simplement l’incompatibilité entre le parcours de David et la maison de Dieu. Tout comme Moïse a mené et préparé Israël jusqu’aux portes de sa terre mais n’a pu l’accompagner, David a accompagné Israël jusqu’à la construction du temple mais n’a pu y participer.
-970 - 931
Quelle était la diplomatie de Salomon ?
Sous Salomon, le royaume d’Israël connaît un véritable âge d’or diplomatique. Salomon est un maître de realpolitik, qui sait tirer avantage de l’équilibre des puissances. Il renforce tout d’abord l’alliance conclue sous David avec les Phéniciens et, face aux visées hégémoniques égyptiennes, négocie une alliance scellée par un mariage avec la fille de pharaon. Salomon entretient également d’excellentes relations avec des contrées puis lointaines, comme le royaume hittite et celui de la reine de Saba.
Cette situation privilégiée permet au royaume d’Israël de connaître un véritable âge d’or économique, avec une explosion des échanges qui ne va pas sans créer de profondes tensions sociales. Et puis, une fois Salomon disparu, le système international dont il avait su tirer profit disparaît avec lui et devient bien moins favorable à Israël.
-970 - 931
Pourquoi le royaume de Salomon a-t-il été divisé ?
Homme de sagesse mais également homme du monde et détenteur d’un grand pouvoir, Salomon mène dans la seconde partie de son règne une politique de grands travaux et de faste royal qui va peu à peu appesantir le climat social et moral du royaume. Pour financer des constructions toujours plus nombreuses et pourvoir au besoin de sa cour et de son harem (qui comprendra jusqu’à 300 femmes et 1 000 concubines), Salomon fait appel au système très impopulaire de périodes de travail obligatoire et augmente les impôts. Parallèlement, parmi ses femmes et concubines, les étrangères érigent des lieux d’idolâtrie jusqu’au coeur de Jérusalem.
Le chef des corvées royales, Jéroboam Ben Nebat, originaire de la tribu d’Ephraïm, au nord, va mener la contestation sociale. Poursuivi par l’armée, il se réfugie en Egypte. Il reçoit parallèlement l’onction royale du prophète Ahiya.
A la mort de Salomon, le royaume à normalement un successeur désigné en la personne de Roboam, le fils de Salomon. Mais les anciens du peuple convoquent de véritables Etats généraux auxquels Roboam se plie. Les exigences du peuple sont modérées et portent essentiellement sur le rétablissement d’une véritable justice sociale. Fragile et inexpérimenté, Roboam suit le conseil de ses jeunes conseillés et refuse en bloc ces réclamations. Le peuple réuni vote alors la sécession. Roboam envoie les troupes mater les rebelles mais se font chasser. Il doit alors s’enfuir à Jérusalem. L’assemblée porte Jéroboam, rentré d’Egypte, à la royauté et fonde le royaume d’Israël, autour duquel se rassemblent les tribus du nord. Il ne reste à Roboam que le territoire de la tribu de Juda et de Benjamin pour exercer sa souveraineté. Les royaumes voisins en profitent pour récupérer ou envahir des territoires acquis aux temps de la royauté unifiée d’Israël. Les deux nouveaux royaumes, frères ennemis, devront s’épanouir sur un territoire réduit. L’injustice sociale et l’immoralité de la fin du règne de Salomon ont mis fin à l’unité d’Israël.
Suite de l'histoire dans notre prochain article.. !
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